La séparation
- artiphil

- 14 oct.
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Dernière mise à jour : 16 oct.
Aux Bouffes parisiens, Alain Françon tire de l’oubli La Séparation, l’unique pièce de théâtre de Claude Simon. Un implacable huis-clos porté par un formidable quatuor d’acteurs au service d’une partition drôle et tragique.
Un voile couvre encore le plateau que des mots s’affichent sur un tulle noire. Il s’agit de phrases du roman de Claude Simon, L’Herbe, source d’inspiration de la pièce. L’auteur a repris les grandes thématiques de ce roman pour les adapter à la scène. La trame est bien la même. Dans la grande propriété familiale, l’agonie de la vieille tante Marie, âme du domaine, n’en finit pas d’advenir. Deux couples, d’un côté, Georges, le fils et sa femme Louise, de l’autre, ses parents ; Sabine et Pierre se font face chacun dans leur cabinet de toilette. Séparés par une mince cloison, les protagonistes observent leur reflet et questionnent leur vie sans jamais vraiment communiquer. La séparation apparaît comme inéluctable entre les êtres et se fait plus prégnante pour le jeune couple : Louise décidera-t-elle ou non de partir rejoindre son amant à la ville ?
Faire naître la simultanéité au plateau
La grande force de la pièce de Simon, c’est de faire naître la simultanéité des récits, ce qu’Alain Françon traduit magistralement au plateau.
Sabine évoque le jour de son mariage avec Pierre, Georges, le sacrifice de sa tante Marie pour son père quand ils étaient jeunes. Le passé et les souvenirs brouillés ou altérés par l’émotion, se confrontent au présent et à sa matérialité la plus concrète ; le passage du facteur, le déplacement d’une raie de soleil sur les murs de la maison, les poires qui pourrissent dans le verger. La pièce superpose et combine un présent qui se décompose dans l’attente de la mort de Marie, avec les pensées, les regrets, les espoirs des personnages. Le décor lui-même en prend la forme. Le mobilier simple et fonctionnel : coiffeuses, chaises, lavabos s’inscrit dans des pièces aux murs défraîchis, aux sols usés. Tout passe, tout s’altère, laissant les protagonistes seuls, figés dans le discours et l’inaction. La séparation prend des accents russes et Tchekhov n’est pas si loin.
Ce qu’il advient sous les mots
Sous la plume sensorielle de Simon, la force des images embarque le spectateur dans l’univers de chaque conscience, entre obsessions, névroses et désirs de vivre. "Une langue sublime, musicale, très colorée, comme les peintures de Claude Simon, car il ne faut pas oublier qu’il était peintre" rappelle Alain Françon.
La séparation est le lieu des non-dits, du factice. “Tout se passe sous les mots qu’on prononce, comme le tracé d’un ruisseau souterrain est révélé dans les champs par une herbe plus verte” commente Claude Simon au sujet de sa pièce. Dans la subtilité des costumes et la finesse de jeu des comédiens, on perçoit ce double-fond. Dans cette maison bourgeoise, tous et toutes jouent un rôle. La bonne, bossue et spectrale (Catherine Ferran) emprunte à un personnage de conte, Sabine (phénoménale Catherie Hiegel), les cheveux rouges, fardée dans ses robes aux couleurs criardes devient une carricature de femme rongée par l’alcool à l’humour corrosif. Pierre (méconnaissable Alain Libolt), se réfugie dans ses livres et existe à peine. Seule Louise (Léa Drucker), dans une interprétation plus distanciée, semble résister un temps et être présente au monde. Sans pathos et sans effets spectaculaires, Simon et Françon dévoilent avec maestria une condition humaine existentialiste qui touche au cœur et aux tripes. A voir.
De Claude Simon
Mise en scène Alain Françon
Avec Léa Drucker, Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Pierre-François Garel et Alain Libolt
Assistante mise en scène Franziska Baur
Décor Jacques Gabel
Lumières Jean-Pascal Pracht
Maquillages coiffures Cécile Kretschmar
Costumes Pétronille Salomé
Chorégraphe Cécile Bon
Musique Marie-Jeanne Séréro
Accessoires Stéphane Bardin
Collaborateurs artistiques Valéry Faidherbe


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