La boucle est bouclée, 35 ans après que Catherine Hiegel a interprété le rôle de Coraline dans une mise en scène de Jacques Lassalle à la Comédie Française, la comédienne met en scène la servante aimante au Théâtre de la Porte Saint-Martin avec, dans le rôle-titre, Isabelle Carré.
D’entrée, Catherine Hiegel annonce la couleur : ici, on est au théâtre. Un valet vient frapper les trois coups de brigadier et le rideau se lève sur un décor classique qui laisse largement visible la cage de scène du théâtre. Tout est faux mais tout est juste dans le discours de Goldoni qui dégage un parfum de satire sociale et une saveur si moderne et si intense. Car la serva amorosa, écrit en 1752, se joue des codes formels de la Commedia dell'Arte dont elle se détache et met sens dessus-dessous les relations maîtres-serviteurs.
C’est la servante Coraline (Isabelle Carré), qui ne possède rien et qui n’est rien, qui va offrir sa bonté et son intelligence pour remettre de l’ordre dans le chaos familial de son maître, le jeune Florindo. Car Coraline est une adulte entourée d’enfants esseulés : Florindo, fils d’Ottavio en tête, chassé du foyer par son père, suivi par le benêt Lélio (interprété par l'excellent Tom Pezier), fils de Béatrice, seconde épouse d’Ottavio et marâtre, qui veut détourner l'héritage de son mari presque sénile. Consciente de sa condition, elle sait rester à sa place de servante “aimante” et non “amoureuse” de son maître, tout en élaborant de fins stratagèmes pour débusquer la cupidité de Béatrice et parvenir à ses fins.
Des femmes fortes
Empreint d’esprit des lumières, Goldoni bouscule aussi les conventions à travers le vibrant hommage qu’il rend aux femmes et à leur intelligence. Si Béatrice (Hélène Babu) met la sienne au profit d’un dessein immoral, Coraline l’utilise pour défendre la cause de ses maîtres et se sacrifice pour eux : « (...) Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour mon pauvre maître. Sans moi, il était perdu. Je l’ai secouru, j’ai pris soin de lui, je l’ai rétabli dans la maison et dans le cœur de son père. Je l’ai marié honorablement, je lui ai rendu son héritage, je l’ai délivré de ses ennemis. Que pouvait faire de plus une servante aimante ? ». Mais, ce projet ne l’empêche pas de suivre ses propres intérêts. Elle défend d’abord sa réputation et ce, malgré son amour pour son maître, et cherche à se mettre à l’abri du besoin grâce à un mariage de raison bien doté. Un personnage ambigu qui ment aux autres et se ment à lui-même, servi par le jeu tout en nuances d’Isabelle Carré. La comédienne est à la fois rusée, calculatrice, sincère et généreuse. Un rôle magnifique considéré par Catherine Hiegel comme un des plus beaux du répertoire : “Je souhaite aux actrices d’avoir la chance de jouer ce rôle, car il y tout : Il y a l’amour, mais l’amour qu’on s’arrache du cœur, il y a le sacrifice, il y a la ruse, le travestissement. C’est un très beau cadeau que Goldoni a fait aux actrices”. On pourrait ajouter, un cadeau qu’il fait aussi au public, porté par une mise en scène adroite et des comédiens remarquables.
Un spectacle parfait pour les fêtes de fin d'année.
La serva amorosa de Carlo Goldoni
Traduction et adaptation Ginette Herry
Mise en scène Catherine Hiegel
Avec Isabelle Carré, Hélène Babu, Jackie Berroyer, Olivier Cruveiller, Antoine Hamel, Jeremy Lewin, Tom Pezier, Jérôme Pouly, Stanislas Stanic, et les apprenti.e.s du Studio – ESCA Ombeline Guilhem et Victor Letzkus-Corneille
Jusqu'au 4 janvier au Théâtre de la Porte Saint-Martin
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