Ils sont deux, Barbara et Werner. Il est 5 heures du matin dans leur cuisine. Depuis 10 heures du soir, ils essaient de retenir leur amour qui part à volo,“d’aboutir à un résultat positif” comme dit Werner. Mais pour Barbara c’est une conversation qui n’a pas d’issue, “parce qu'aucun de nous ne veut ni céder ni partir, bien qu'il soit cinq heures du matin”.
Les injures, les reproches, fusent autant que les “Mon doux”, “Ma chérie”, chacun campe sur ses positions et c’est l'incompréhension absolue qui domine. Barbara pose clairement les données du problème. Il existe une ligne solaire qui sépare le corps de Werner en deux moitiés ; une avec laquelle elle est prête à fusionner, l’autre pas du tout. Alors comment faire ? Essayer encore ? Mais tout est vain, ils n’ont pas de mots suffisamment forts pour crier leur douleur et leur colère, conscients de l’impossibilité de franchir la ligne.
Aurelia Arto et Bruno Blairet, les deux comédiens, interprètent magistralement la partition. Car La ligne solaire suit le tempo d’une œuvre musicale : accélérations, points d’orgue, silences, ralentissements : l’écriture d’Ivan Viripaev exprime les allers-retours émotionnels des protagonistes avec précision et virtuosité. Cette musicalité passe aussi par leurs corps, immobiles, qui se saisissent, se heurtent, se repoussent. Si la violence est là, elle n’est jamais gratuite, malaisante, parce qu'on sent que les protagonistes s'en veulent à eux-mêmes autant qu'à l'autre, probablement aussi parce que cette surenchère crée aussi beaucoup d’humour.
La ligne solaire traverse toutes les nuances et tous les extrêmes du discours amoureux : la mauvaise foi, l’incapacité à écouter l’autre, les petites lâchetés ici et là, mais aussi la faculté à inventer des “autrement”, des “encore” , des “et si ?“. En une réplique, Barbara et Werner se rapprochent soudainement, imaginent qu’ils dansent, qu’ils marchent dans une forêt. Et puis la musique déraille : Barbara ne danse pas avec Werner mais avec “un super mec”. En permanence, Viripaev maintient les sens du spectateur en éveil. On s’interroge, on se dit que tout est perdu pour le couple, que chacun restera de part et d’autre de la ligne solaire. Et puis dans cette lutte, cet épuisement, alors qu’on y croyait plus, surgit une proposition : “Peut-être qu'il faut quand même essayer (...) de détacher son regard de soi pour le diriger sur les autres. Le diriger sur quelqu'un d'autre. Et c'est probablement seulement alors, qu'on pourra avoir un quelconque dialogue réel”.
Festival d'Avignon Off
Texte d’Ivan Viripaev
Avec Aurélia Arto et Bruno Blairet
Mise en scène de Clément Poirée
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