Au Théâtre du train bleu, Louve Reiniche-Larroche nous transporte dans un récit poignant sur sa mère, Brigitte, qui, lors d’une nuit d’automne, devient brutalement sourde.
A travers la parole des proches de Brigitte; ses parents, son fils et sa belle-fille, sa petite-fille, la comédienne, seule-en-scène, dessine à petites touches le portrait sensible de celle qui subit ce terrible accident. Si d’emblée cet événement est une matière à récit incroyable, la forme dramaturgique qu’en font Tal Reuveny, la metteure en scène et Louve Reiniche-Larroche, accompagnées par les créations sonores de Jonathan Lefèvre-Reich, créé une oeuvre magnifique sur ce cataclysme et ses répercussions.
Dans Sans faire de bruit, chaque sens est démultiplié, sublimé. L'ouïe d’abord, avec les sons du quotidien clairs et nets et les paroles des protagonistes enregistrées, sur lesquelles la comédienne fait du playback. La vue ensuite, car, si Louve Reiniche-Larroche ne parle pas, elle incarne avec une précision extrême les gestes et expressions de chacun de ses personnages : on voit Jean, le père octogénaire de Brigitte dans son fauteuil roulant, gêné par les rayons du soleil qui l’aveuglent. On découvre Ava, sa petite-fille de 5 ans, se tortiller par terre quand elle parle de sa grand-mère ou Basile, son fils, enfoncé dans son fauteuil, tirant nerveusement sur sa cigarette. Un affaissement d’épaule, les doigts d’une main qui se contractent, un sourcil qui se lève : ces gestes, parfaitement synchronisés avec les voix qu’ils incarnent, suffisent non seulement à nous faire apparaître les protagonistes, mais aussi à ressentir leurs atermoiements, leurs hésitations, leurs émotions.
Et puis, vient le toucher. Quand après l’accident, les éléments du décor : un fauteuil, un guéridon, le fauteuil roulant du grand-père, sont recouverts d’un épais tissu ouaté, on sent l’espace se rétrécir, les objets deviennent atones, indistincts, comme les mots et bruits qui, pour Brigitte, se transforment en sons informes et métalliques. Parallèlement, les visages des êtres aimés s’effacent derrière une foisonnante chevelure pour la petite fille, un nuage de mouchoirs pour la belle-fille, un abat-jour pour la mère de Brigitte. Dans une composition surréaliste, les objets deviennent masques et transforment les personnages, comme la surdité transforme les relations humaines. Brigitte l’avoue à sa fille : sa plus grande angoisse était de voir la tristesse contaminer l'ensemble de la famille, qu’il ne reste plus que ça à partager.
Avec finesse, Sans faire de bruit, bouleverse, touche au cœur et aux tripes, interroge nos sens avec une immense délicatesse. C'est un spectacle magnifique et poétique, un de nos plus beaux coups de cœur d’Avignon !
De Louve Reiniche-Larroche et Tal Reuveny
Festival d'Avignon Off
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