L’interminable silence de Denis Lavant
La dernière bande de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski. Théâtre de l'Athénée - Louis Jouvet, Paris, 2019

Au théâtre de l'Athénée en 2019, Denis Lavant démarre “La dernière bande” de Samuel Beckett par un silence interminable.
Le plateau est vide, les spectateurs s’installent dans la salle. Dans mon souvenir, Denis Lavant est déjà sur scène, installé à un petit bureau en fer face au public. Sur le bureau est posé un gros magnétophone et des boîtes en carton contenant des bandes magnétiques. Un éclairage blanc tombe sur lui, en douche.
Une fois les spectateurs installés, le noir se fait dans la salle et Denis Lavant reste face au public, immobile et silencieux à son bureau. Une ou deux minutes passent et le public, calme, ne réagit pas et attend. Rien ne se passe, Denis Lavant est toujours silencieux et immobile face au public. Alors la salle commence à frémir, toussoter, des rires de lycéens présents ce soir là, fusent, auxquels répondent des « chut ! » agacés. Une certaine tension s’installe. On sent l’étonnement et aussi l’agacement de certains : « Pourquoi la pièce ne commence pas ? Quelle est la signification de ce silence ? Pourquoi est-ce si long ? ».
De mon côté, j’attends patiemment et plus les minutes s’écoulent, plus je perds petit à petit mes repères. Celui du temps d’abord : je serai incapable de dire combien de temps a duré ce moment. Et puis, enveloppée par le noir de la salle, c’était un peu comme si mon psychisme se détachait de mon enveloppe corporelle pour flotter. Je suis là, sans être là, détachée, quelle étrange sensation ! Je crois que je fais l’expérience physique du temps qui s’écoule. Je crois n'avoir jamais ressenti ça ailleurs !
Et puis tout d'un coup, la voix rauque de Denis Lavant surgit enfin. Je reviens sur terre, la tension descend, on sent un soulagement dans la salle : ouf, le spectacle démarre enfin.
Sybile